
Bien que la Manufacture ne date que du siècle dernier, l'activité
agricole, artisanale ou industrielle autour du tabac est présente dans la
région toulousaine depuis bien plus longtemps. En effet, la culture de
cette plante a été introduite dans la vallée de la Garonne dès le XVIIe
siècle.
A partir de 1674, le monopole de la vente du tabac fut réservé au Roi
seul et confié à la Ferme Générale qui gérait la production, la
fabrication et la vente de "l'herbe à Nicot". A Toulouse, cette ferme
était installée dans des ateliers rue de la Pomme.
La manufacture de la rue de la Pomme prospéra jusqu'à la Révolution. Le
monopole de la Ferme qui était très critiqué, fut supprimé en 1791 : la
liberté complète de culture, de fabrication et de vente du tabac en France
fut alors instaurée. Cette liberté d'entreprise, très favorable à
l'industrie du tabac à Toulouse, permit la mise en place de six fabriques
privées dans la ville rose qui connut alors un brillant essor.
Les origines de la Manufacture d'Etat datent de l'année 1810 lorsque
Napoléon Ier rétablit le monopole de l'Etat sur l'achat des feuilles, la
culture, la fabrication et la vente des tabacs. Une manufacture fut alors
installée dans l'ancien couvent des Bénédictins. Ce bâtiment, précédemment
occupé par la filature Boyer Fonfrède, se trouvait quai de la Daurade. En
1821, de nouveaux ateliers s'ajoutèrent à ce premier établissement,
notamment pour le rapâge de la poudre. Ils se situaient dans la zone
d'activité du Bazacle, au bord de la Garonne, afin d'utiliser l'énergie
hydraulique nécessaire aux activités mécanisées.
Au cours du XIXe siècle, la manufacture fut donc divisée en deux
bâtiments totalement distincts. Pour des raisons de commodité, on décida
de construire une nouvelle manufacture au Bazacle afin que toute la
production soit concentrée en un même endroit. C'est donc en s'appuyant
sur un bâtiment déjà existant que fut édifié, entre 1888 et 1894, la
manufacture que nous connaissons actuellement. Toute l'activité autour du
tabac fut alors située au Bazacle - aujourd'hui Ecole des Beaux-Arts.
Le rôle de la manufacture, dans l'histoire de Toulouse, a été très
important. Jusqu'en 1914, et avant l'implantation de l'industrie
aéronautique dans la région, elle fut la plus grande entreprise de la
ville et aussi le principal employeur : presque deux mille personnes,
principalement des femmes, faisaient ainsi de Toulouse la deuxième
manufacture de France après celle de Paris. Grâce à elle, toute la région
était approvisionnée en produits couramment consommés : cigarettes,
cigares, poudre à priser, scaferlattis...
La production, réalisée au départ à la pièce et à la main, fut
mécanisée tout particulièrement pendant l'entre-deux-guerres. Les
bâtiments s'adaptèrent sans trop de difficultés à ces changements mais la
décision de fermer l'usine, prise vers 1963, releva plus des conséquences
de la suppression des barrières douanières entre les pays membres du
Marché Commun que d'une quelconque inadaptation. En juin 1979, l'usine
livra à la consommation ses dernières "cigarettes sans papiers", les
cigarillos Ninas. La manufacture garda encore une activité administrative
pendant quelque temps mais en 1987, elle fut définitivement fermée.
C'est alors que commença une bataille acharnée autour de la
manufacture. Dans un premier temps, il fut décidé de vendre le terrain à
des promoteurs afin que les locaux soient rasés et que de nouveaux
immeubles soient construits à cet emplacement. Or, sous l'impulsion de
Toulousains très motivés et désireux de voir l'ancienne usine non pas
détruite mais réutilisée, l'Association pour la Sauvegarde de la
Manufacture des Tabacs fut constituée. Expositions, manifestations,
pétitions... furent organisées pour mobiliser l'opinion en faveur de la
conservation du bâtiment qui appartenait à l'histoire industrielle et
sociale de Toulouse, et dont la qualité architecturale était absolument
indéniable. On imagina donc une restructuration des bâtiments comme cela
s'était déjà vu pour la manufacture de Nantes transformée en logements
sociaux, ou pour celle d'Aix en Provence qui abrite aujourd'hui une
bibliothèque.
Malgré les incendies criminels et les dégradations tous les jours plus
nombreuses, l'Association pour la Sauvegarde de la Manufacture des Tabacs
réussit grâce à sa persévérance, à faire prévaloir son projet. Le Ministre
de la Culture, enfin convaincu, décida de classer la toiture et les
façades de la manufacture parmi les monuments historiques de la Région. La
manufacture était sauvée de la démolition et sa destination à un usage
universitaire allait lui donner une nouvelle vie. La ville de Toulouse,
propriétaire des lieux, cédait les bâtiments au Ministère des Universités
qui les affectait à l'Université des Sciences Sociales. Dans le cadre du
programme "Université 2000", et avec le soutien financier du Conseil
Régional de Midi-Pyrénées, les travaux de restauration et d'aménagement
furent aussitôt entrepris.
La Manufacture des Tabacs est donc venue agrandir le site de
l'Université des Sciences Sociales et accueille depuis quelques unités de
recherche et leurs étudiants. Pour la rentrée 1996, les travaux sont
presque achevés et nous vous laissons découvrir grâce à l'exposition et à
votre visite aujourd'hui, comment les lieux ont évolué.
LES ACTIVITES AUTOUR DU TABAC
Les Produits :
Poudre à Priser
Scaferlati : tabac haché, à fumer ou à confectionner en
cigarettes.
Tabac de Cantine : scaferlati à prix réduit pour l'armée
et les hospices.
Cigares : tripes - morceaux allongés de feuilles formant
l'intérieur du cigares.
sous cape - partie d'une feuille enroulée en tube autour des tripes,
et formant la première enveloppe.
cape ou robe - partie d'une feuille enroulée en hélice et formant
l'enveloppe extérieure
Les Transports :
Manoque : ensemble de 15 à 20 feuilles séchées liées
ensemble au niveau de la tige.
Les Préparations Générales :
Ecabochage : sectionnement de la tête des manoques pour
les débarrasser des caboches (tiges restantes).
Mouillade : aspersion ou trempage du tabac dans de l'eau
pure ou de l'eau salée.
Fabrication de la Poudre à Priser :
Hachage en Gros : découpage des feuilles de tabacs en
lanières.
Masses de fermentation : meules de plusieurs tonnes de
tabacs pour la fermentation.
Cases : chambres closes en bois de chêne, pour la
fermentation des tabacs rapés.
Fabrication du Scaferlati :
Capsage : opération consistant à placer des feuilles de
tabacs de façon que leur nervure centrale (côtes) soient toutes
parallèles. Les paquets de feuilles capsées sont introduits dans la
hachoir avec les cotes perpendiculaires aux lames, ce qui évite des
"aiguilles" dans le scaferlati.
Torréfaction : tabac haché, brassé et chauffé pour
mélanger les arômes.
Fabrication des Cigares :
Ecotage : opération consistant à enlever la côte des
feuilles destinées aux sous-capes et capes.
Fabrication des scaferlatis
La confection des scaferlatis était extrèmement controlée, et plus
particulièrement l'opération appelée "le pesage".
"Au rythme de 3 secondes par doses, la peseuse doit approcher le plus
prêt possible du poids imposé de 40 grammes. Les "bonnes peseuses" (!)
arrivent à tenir le rythme de 1000 paquets de scaferlatis compris entre
38,5 g et 41,5 g. En deçà ou en delà, les contrôles inopinés font chuter
les primes.
Les peseuses sont munies de deux balances afin de confectionner deux
doses à la fois. Pour ces doses, elles disposent d'un temps un peu
supérieur à 6 secondes. Ce temps permet aux balances de prendre leur
position d'équilibre tandis que le temps de 3 secondes est trop court.
D'autre part, si l'ouvrière réussit du premier coup à amener à 40 g l'une
des deux doses, elle dispose de plus de temps pour porter son attention
sur la deuxième dose."
Extrait de l'ouvrage "Notions de fabrication des tabacs", Bible des
chefs d'atelier des manufactures d'Etat.
Fabrication de la poudre à
priser
"Les feuilles de tabacs sont d'abord transportées du magasin à
l'atelier de composition. Là, les ouvrières prennent les manoques,
bouquets de 10 à 25 feuilles, et les écabochent en enlevant la partie
ligneuse du pédoncule, puis elles pratiquent l'époulardage, opération qui
consiste à secouer les feuilles pour les décoller. Comme elles sont
destinées à être pulvérisées, cela peut se faire à sec, sans craindre de
produire des débris. Jusqu'en 1862, on écota les feuilles pour poudre à
16% environ. Avec un couteau à lame très courte, l'écoteuse coupait la
côte ou nervure médiane et l'arrachait en le séparant du parenchyme.
Ainsi, le produit obtenu éait-il soigné, mais on jugea que c'était peu
économique et qu'en mouillant les côtes dans des jus concentrés, la
différence serait peu sensible pour le priseur.
Le tabac, ainsi préparé est mouillé une première fois : on l'arrose
dans une proportion voisine de 20% d'eau salée à 3% et on laisse en masse
pendant une trentaine d'heures. Ensuite il passe au hachoir, couteau
manoeuvré d'abord à la main puis mécaniquement : il en sort découpé en
fines lanières.
Après une seconde mouillade, les ouvriers construisent avec les
feuilles hachées et les débris, des masses de fermentaion de 35 à 40 000
kg, soit un volume d'une soixantaine de m3. Pendant
cinq à cinq mois et demi va se produire une combustion lente qui porte la
température à l'intérieur de la masse jusqu'à 75° et fait fortement
baisser le taux de nicotine. Au bout d'une période de temps variable selon
le climat et la saison, la masse est démolie et livrée à la
trituration."
J. Heffer : "La manufacture des tabacs de toulouse au XIXème siècle"
C'était un petit jardin...
L'AFFAIRE du PALMIER
En 1945, le jardin d'honneur de la Manufacture avait de quoi
surprendre. Imaginez le plus gigantesque fouillis qui se puisse rêver.
Nulle règle ne présidait à l'enchevêtrement des espèces multiples ;
conifères, aulnes, sureaux, lauriers, bambous, mêlant leurs tiges dressées
en hallebardes aux branches fleuries des lilas, pelouses envahissant les
allées dont le tracé se perdait dans une invasion proliférante de rejets
vigoureux. Un saule pleureur, romantique, caressait de ses extrémités
délicates la surface glauque d'un bassin moussu où quelques poissons
rouges dépérissaient d'ennui. Dans un angle, voulant évoquer sans doute
quelques folies du XVIIIe , un chalet en bois, aux lattes délavées
croulait sous l'assaut continu d'un lierre envahissant. Seuls, merles et
moineaux le hantaient. Poulailler pendant les heures sombres de
l'occupation, ces derniers hôtes domestiques n'avaient pas survécu aux
agapes d'une glorieuse libération. Un vieux banc, sous le saule, invitait
au repos, à la rêverie.
Jean-Jacques Rousseau, s'il l'eut connu, eut aimé ce jardin, défi de la
nature jeté à la face de l'industrie humaine. Depuis quand existait-il
dans cet état ? Quel architecte en avait-il conçu le plan ? De mémoire
d'ancien, on l'avait toujours connu tel ; nul ne taillait ni n'ordonnait
et depuis des lustres, les seules forces vives de la nature en avaient
réglé, au gré des vents, des pluies et des saisons, l'aspect sauvage et
primitif.
Dans ce désordre des espèces et des formes dont la complexité assurait
l'harmonie : un intrus. Par quel caprice était-il là ? Insolite et superbe
en sa robe velue, recouvrant ces épaules de palmes desséchées et dressant
au soleil son toupet vert : un palmier, un vrai, pas un petit palmier à
l'image du baobab en pot de Tartarin. Un palmier droit, haut, s'efforçant
par-dessus les toits à hisser ces palmes jusqu'aux effluves africaines
dont le vent d'autan est chargé. Pauvre palmier ! Que de paroles, que de
polémique, que de fièvre devait-il soulever !
Car en 1950, un nouveau directeur vint. A homme nouveau, temps nouveaux
!
L'heure industrielle a sonné. En deux temps, trois mouvements l'oasis a
disparu. Adieu, sapins, lilas, troènes, saules et poulailler. L'ère du
romantisme a vécu. Le bassin, récuré, blanchi, renouvelé en eau, devint le
centre d'un jardin à la française sans embûches ni secrets.
Des allées rectilignes, des massifs floraux, quelques arbres taillés
courts, une haie de thuyas. Le classicisme l'emporte. Tout est nouveau,
presque tout. Hélas, le palmier reste ! Que n'a-t-il disparu lui aussi,
emporter en quelques heures par la folie d'alignement ! Car seul vestige
d'un passé défunt, il s'avère un problème. En fait, le grand problème :
Tombera ? Tombera pas ?
Les paris sont ouverts, la foule se passionne, les syndicats sont
consultés. Suivant l'âge, le sexe ou l'appartenance, on est pour ou
contre. Le soleil se mêle du tout et les idées s'échauffent. Des clans se
forment et s'affrontent. Palmiéristes et anti-palmiéristes. Les
conservateurs en font le symbole d'évasions romanesques vers des cieux
toujours bleus. Les modernes vouent au bûcher cet hérétique.
La presse s'empare de l'affaire et l'illustre. Tout s'oublie dans la
passion. La fabrique des allumettes glisse vers Tonneins. Peu importe !
Nous ne fabriquons plus que du gris. Quelle importance ! Tombera , Tombera
pas ? Les mois passent, l'affaire demeure. Il est toujours là. On appelle
sur lui, qui la protection, qui la malédiction divine. Mais le ciel reste
sourd. Un lundi matin, il n'est plus là. Mirage, hallucination collective
? L'émotion se calme, les passions s'éteignent. Aucune trace, ni palme, ni
tronc, ni racines ! A-t-il jamais existé ?
Le mystère en subsiste encore, mais allez donc dénouer celui d'un crime
sans cadavre. A partir d'aujourd'hui, le jardin d'honneur restera propre,
net, entretenu, impersonnel et vide.
"Les poissons, ces témoins muets
Savent, bien sûr, toute l'histoire ;
L'ont-ils dite à l'oiseau fluet
Qui dans leur clair bassin vient boire ?"
Dans les années 70
Chaine de mouillade

Les servants de la Rose
La Rose est la machine qui servait à empaqueter les Ninas. Autour
d'elle s'affairaient cinq personnes : un mécanicien assisté de quatre
ouvrières triées sur le volet.
La manufacture et les personnes qui ont participé à la réalisation de
cette exposition vous remercient d'avoir pris le temps de la visiter et
vous rappellent que fumer nuit gravement à la santé (L91.32)
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